Jean-Marc Huitorel  dans sa brochure " Poullaouen " de 1985.

Le dernier des mendiants de nos campagnes bretonnes

Jean Marc mon cousin du Vervin est depuis cet été la bête noire de la secte de la Vallée des Saints  

""Je l’ai connu ce SDF rural quand il était venu chez mon grand-père à Ty- Nouet ,après avoir mangé chez mon grand- père et il avait été dormir dans le tas de paille du hangar .Maurice Cloarec le garde forestier m’avait fait découvert son domicile quelque part dans les bois du Fréau quand j’ avais fait mon stage de lycée agricole à l’ ONF du Huelgoat .""
Le 2 Février 1976, dans sa rubrique «Informations Générales», Ouest-France titrait : « Le froid a fait trois victimes dans l'Ouest. A Poullaouen (Finistère), c'est le propriétaire d'une ferme qui a découvert samedi dans un hangar, M. Charles Bourriquen, 67 ans, sans domicile fixe, ouvrier agricole, qui gisait sur des bottes de paille. Selon le médecin, appelé sur les lieux, il était mort de froid environ 48 heures plus tôt. ».
Le destin d'Emile, car il ne s'appelait pas Charles, résonne maintenant comme ces histoires qui font les mythes : le dernier des Mohicans, Gaspard Hauser, Jacquou le Croquant dans sa forêt Barade
Né d'une famille qui aimait beaucoup le grand air et assez peu les hommes, il courrait les champs et les bois, persuadé que la vie ne pouvait pas être autre chose que cela. Quand on a ainsi la bougeotte et qu'on habite le monde des paysans de Bretagne, on n'a pas le choix : on devient journalier ou bien mendiant. Emile avait sa fierté, il se fit journalier, mais seulement quand il voulait
Sur la fin, il avait élu domicile quelque part dans le bois de Fréau, derrière le Cosquer et Gourlan, là où les chemins fréquentés n'éventrent pas la forêt. La grande solitude des arbres, des eaux et du vent. Il y végétait: vraiment. En guise de gîte, il avait creusé un trou dans la terre, bien à l'abri du vent, qu'il avait recouvert de branchages, de genêts ou bien encore de vieux sacs en plastique ayant servi à mettre de l'engrais et dont la parfaite imperméabilité faisait tout le prix. Il changeait souvent de place, au gré des saisons et de sa fantaisie. Les gens de par là-bas découvraient fréquemment le noir des feux éteints, le terrier de la nuit, le sac d'engrais, rarement Emile.
Il lui fallait aussi un ruisseau, d'abord pour se désaltérer car c'était là son seul breuvage, ensuite pour se laver car il tenait à rester propre. Un jour qu'il travaillait à Rest-Hervé, avant d'aller manger, on l'avait vu se mettre nu au beau milieu de l'aire, se rouler dans la terre puis se frotter énergiquement avant de se rincer à l'eau claire.
Aussi bizarre que cela puisse paraître, il ignorait le braconnage, se contentant pour seul nourriture des légumes et des fruits sauvages. Pas voleur non plus : à la fin du ramassage des pommes de terre, avec la permission du paysan, il venait cueillir celles, trop petites, que l'on avait laissées sur le champ. Il ne réclamait pas la pitié, simplement le droit de faire à sa façon, et dans l'ensemble on le lui accordait.
Pourtant il avait peur. Toujours. C'est pourquoi il ne pouvait rester longtemps au même endroit. Emile n'était en règle qu'avec lui-même. Traduisez que des histoires comme la sécurité sociale, les impôts, les obligations militaires, les déclarations ou cotisations de toute sorte, il ne connaissait pas. Ce qui fait que de temps en temps les gendarmes hantaient le quartier afin de déloger ce bougre qui refusait avec entêtement les bienfaits de la civilisation. Ils ne l'ont jamais trouvé et sans doute ne l'ont-ils jamais vraiment cherché. Mais la peur le tenait toujours. Les rares fois où il franchissait le pas d'une porte, il fallait que celle-ci restât ouverte, et, malgré cela, ce n'était sur lui que gestes nerveux, coups d’œil inquiets vers le dehors, ainsi qu'une bête traquée. Quand il venait travailler on lui demandait : «Eun devez pemp kant lur, Emile? (Une journée à cinq cents francs, Emile?) »
.Il travaillait sa journée, mangeait à part et, avec les cinq francs gagnés, la patronne lui achetait du pain ou quelque’' autre nourriture.
Puis les jours difficiles revenaient. Un jour, n'en pouvant plus, il est venu au Cosquer. C'était aux pires froids de l'hiver. Il s'est glissé dans la grange, à l'abri du vent. Mais affaibli par la faim, il a quitté ce monde, comme on se sauve.

Une hutte de charbonniers